CHAPITRE VIII
Derrière le champ de force, Kyp Durron contemplait la silhouette anguleuse du Broyeur de Soleil.
Il se pencha pour avoir une meilleure vue, mais trois gardes armés de la Nouvelle République avancèrent pour lui barrer le chemin. Dans le hangar, une autre équipe de soldats entourait l’arme. A l’intérieur du champ électrostatique de sécurité, une porte blindée était prête à se refermer en une fraction de seconde.
Avec sa frêle silhouette, son sourire et ses cheveux bruns ébouriffés, Kyp ne pensait pas qu’il représentait une menace, mais les trois hommes le tinrent en respect.
— Ceci est une zone de sécurité, dit le sergent. Quittez cet endroit à l’instant, ou nous ouvrons le feu.
— On se calme, dit Kyp, levant les mains. Si je voulais voler ce truc, je ne l’aurais pas amené ici !
Le sergent le regarda d’un air bovin. Il n’avait aucune idée de ce que voulait dire le jeune garçon.
— Je suis Kyp Durron. J’ai piloté le Broyeur de Soleil avec Yan Solo quand nous avons quitté le Complexe de la Gueule. Je voulais juste y jeter un coup d’œil…
L’expression du sergent ne changea pas.
— Je ne connais pas le général Solo, mais mes ordres sont de défendre les zones d’accès. Sans exception.
Kyp s’éloigna et jeta, derrière les gardes, un dernier coup d’œil à l’arme secrète mise au point par Qwi Xux.
Xux ne pensait pas à mal quand elle avait conçu l’engin qui pouvait déclencher l’explosion d’une étoile, annihilant toute vie dans un système solaire. La jeune femme l’avait créé dans l’intérêt de la science, pour tester les limites de ses connaissances. Yan avait annulé son lavage de cerveau, alors elle s’était rendue compte de l’horreur qu’elle avait mise au monde. Ensuite, elle avait aidé le Corellien à voler l’arme secrète et à s’échapper des griffes de l’amirale Daala.
Kyp était heureux que le Broyeur de Soleil soit aux mains de la Nouvelle République, mais ennuyé que le Sénat ne prenne aucune décision à son sujet. L’existence d’une arme si redoutable semblait troubler les membres du gouvernement.
Le jeune garçon observa les ingénieurs qui, derrière le champ de force, essayaient de comprendre comment fonctionnait l’engin. Ils utilisaient des lasers sur sa coque – mais rien ne pouvait entamer l’enveloppe indestructible.
Deux mécaniciens descendirent de l’écoutille supérieure, portant un cylindre de métal d’un mètre et demi de long et de cinquante centimètres de diamètre. Trois scientifiques levèrent la tête, posèrent les yeux sur l’objet et lâchèrent leurs clés en poussant un cri.
— Une torpille à résonance !
Les deux mécaniciens s’immobilisèrent. Quelqu’un déclencha l’alarme et les gardes, à l’intérieur du périmètre de sécurité, cherchèrent les cibles à abattre. Les ingénieurs et les techniciens crièrent de couper le champ de force qui les retenait prisonniers. A l’extérieur, les trois gardes virevoltèrent et mirent en joue Kyp, comme s’il était après tout une menace.
— Ce n’est que la boîte noire ! lança-t-il en riant. Dites-leur de l’ouvrir ; ils verront bien eux-mêmes. C’est là où sont les enregistreurs, au cas où le Broyeur de Soleil se ferait détruire.
Mais les alarmes continuaient de sonner et les ingénieurs couraient en tous sens. Les gardes ne prêtèrent aucune attention aux explications de Kyp.
— Ça suffit mon garçon, quitte les lieux tout de suite ! dit le sergent.
Kyp se retourna en secouant la tête. Combien de temps faudrait-il aux fichus experts pour qu’ils découvrent la vérité ?
Qwi Xux, la belle scientifique extraterrestre, se préparait à s’adresser à l’Assemblée de la Nouvelle République sous le regard admiratif de Wedge Antilles.
Qwi n’aimait pas parler en public et l’idée de tenir un discours la rendait nerveuse depuis plusieurs jours. Elle s’était un peu confiée à Wedge depuis qu’il assurait sa protection, mais elle restait très solitaire. Le jeune général l’avait encouragée autant qu’il le pouvait.
Qwi ne pouvait ignorer le Broyeur de Soleil plus longtemps.
Elle jeta un regard de gratitude au général. Ses grands yeux indigo contrastaient avec sa peau bleu pâle ; la calotte de plumes nacrées qui lui couvrait la tête descendait jusqu’à ses épaules.
Elle regarda Mon Mothma et les autres ministres, puis se redressa et prit la parole d’une voix flutée.
— Mon Mothma, très estimés représentants du gouvernement de la Nouvelle République… quand je suis venue vous demander asile en amenant le Broyeur de Soleil, vous m’avez invitée à m’exprimer dès que j’en sentirais le besoin. Il faut maintenant que je vous parle de mes craintes. J’essaierai d’être brève, car votre décision est importante.
A côté de Wedge, Chewbacca laissa échapper un grognement sourd. Il était surprenant, pour le Wookie, de se contenir de cette façon. Chewie n’était pas connu pour son calme.
— Contrôle-toi, Chewbacca, souffla 6PO. Tu parleras assez tôt. Es-tu certain que tu ne désires pas que je transcrive ce que tu dis en un langage plus châtié ? Je suis un droïd de protocole, tu sais.
Chewie grogna une réponse calme, mais négative. Wedge leur fit signe à tous deux de se taire pour écouter Qwi. Sa voix musicale ne tremblait pas ; Wedge sentit la fierté monter en lui.
— Le Broyeur de Soleil est l’arme la plus formidable qui ait jamais été conçue ; je le sais mieux que quiconque. Elle est beaucoup plus dangereuse que l’Etoile Noire. Bien sûr, l’engin n’est plus entre les mains de l’Empire, mais je m’inquiète de ce que compte en faire la Nouvelle République. J’ai refusé d’expliquer son fonctionnement pour une bonne raison, or cela fait des semaines que vous tentez d’en percer les secrets. Ce n’est pas bien.
La jeune femme fit une pause et respira. Wedge craignit qu’elle ne craque, mais elle se redressa :
— Je vous en supplie : détruisez le Broyeur de Soleil ! Une arme d’une telle puissance ne peut être laissée aux mains d’un gouvernement, quel qu’il soit.
Mon Mothma baissa les yeux sur Qwi ; la scientifique avait l’air faible et fatiguée. Le général Jan Dodonna prit la parole :
— Professeur Xux, d’après les rapports de nos ingénieurs, cette arme ne peut être détruite. Le blindage spécial nous interdit même de la démanteler.
— Vous devez trouver d’autres solutions pour vous en débarrasser, répondit Qwi.
L’ancien adversaire de Mon Mothma, le sénateur Garm Bel Iblis, se leva à son tour :
— Nous ne pouvons laisser un engin d’une telle puissance nous échapper, dit-il. Grâce au Broyeur de Soleil, nous aurons l’avantage tactique sur nos adversaires…
— Cela suffit, dit Mon Mothma d’une voix chevrotante. Nous avons débattu de ce sujet plusieurs fois et mon opinion n’a pas changé. Une arme d’une telle puissance est inhumaine. L’Empereur était un monstre, et la Nouvelle République ne tombera jamais aussi bas. Nous n’avons pas besoin d’un tel atout, et sa seule existence ne fait que nous diviser. J’opposerai mon veto à toutes les tentatives d’études du Broyeur de Soleil et je combattrai jusqu’à mon dernier souffle celui ou celle d’entre vous qui suggérera de l’utiliser contre un adversaire, qu’il soit impérial ou non.
Elle regarda ses officiers ; Wedge se sentit intimidé par sa colère, et la conviction qu’elle dégageait. Le siège de l’amiral Ackbar restait vide comme une blessure ouverte. En silence, Wedge implora Qwi de reprendre la parole.
— Puis-je faire une suggestion ? demanda celle-ci. Puisque le Broyeur de Soleil ne peut être détruit par des moyens conventionnels, pourquoi ne pas l’envoyer, en pilotage automatique, dans le cœur d’une étoile ou au moins au sein d’une planète gazeuse où il sera impossible de le récupérer ?
— Une planète gazeuse suffirait, ajouta le général Crix Madine. La pression du noyau est trop forte pour les vaisseaux les plus sophistiqués. Le Broyeur de Soleil serait hors de portée pour longtemps.
Bel Iblis regarda autour de lui en clignant des yeux, sentant qu’il perdait la partie.
— D’accord. Jetez-le dans une planète gazeuse, pour tout le bien que ça vous fera ! (Mon Mothma leva la main pour annoncer une motion officielle, mais Bel Iblis l’interrompit :) Vous semblez avoir oublié que le Complexe de la Gueule constitue en lui-même une menace. L’amirale ennemie a pu déplacer ses destroyers, mais les scientifiques sont encore dans l’amas de trous noirs. D’après le rapport du général Solo, ils disposent d’un prototype d’Etoile Noire parfaitement fonctionnel.
Chewbacca se leva et rugit. Son cri résonna dans la salle, interrompant les conversations.
Z-6PO agita en tous sens ses bras dorés.
— Pas maintenant, Chewbacca, ce n’est pas ton tour !
Mon Mothma regarda le Wookie.
— Vous avez quelque chose à nous dire ? Exprimez-vous.
Chewbacca poussa une série de longs grognements. Derrière lui, 6PO assurait la traduction simultanée.
— Chewbacca souhaite rappeler à rassemblée que le Complexe de la Gueule est le refuge de nombre de savants impériaux, mais aussi une prison pour des Wookies, et ce depuis près de dix ans. Chewbacca suggère avec respect… (6PO plaça une main dorée devant la gueule du Wookie.) Ralentis, Chewbacca, je fais de mon mieux. Veuillez m’excuser… Chewbacca suggère avec respect que le Conseil de la Nouvelle République lance une expédition contre le Complexe de la Gueule. (Chewbacca rugit, mais 6PO ne sembla pas dérangé.) Je sais que ce n’est pas ce que tu as dit, mais c’est ce que tu voulais dire. Reste tranquille et laisse-moi finir. Hum… Avec le Complexe sous son contrôle, la Nouvelle République pourrait assurer la sécurité des armes développées par les chercheurs. Chewbacca vous remercie de votre temps et de votre considération et vous souhaite une bonne journée.
Chewbacca attrapa le droïd par le bras et le força à s’asseoir.
— Reste calme, dit ce dernier. Je n’ai fait qu’améliorer la forme…
Mon Mothma se tourna vers les conseillers ; tous paraissaient satisfaits de la suggestion. Qwi Xux se pencha vers Wedge, qui lui serra la main pour la féliciter. Elle sourit.
— Je pense que nous sommes d’accord, dit Mon Mothma. Pour une fois. Nous enverrons donc une force d’intervention…
Mon Mothma regarda autour d’elle. Elle ne désirait plus qu’une chose, quitter cette salle et retourner dans ses appartements. Wedge fronça les sourcils.
S’il n’y a plus rien à l’ordre du jour, cette réunion est ajournée, conclut-elle.